comme un yaourt le livre se périme il n’y a pas de limite à la consommation
le temps passé à le penser à l’écrire à le peaufiner
ce temps n’est rien face à la poussière des étagères d’une librairie électronique
sur les plateformes il fait trois petits tours trois petits tours et puis retour la secrète défaite du pilon du sur-stock
t’y crois toi à ce gâchis de papier à ces faux éditeurs à ces auteurs floués à ces lecteurs volés salons du livre c’est long c’est long cette route de l’écrivain
vainement l’auteur l’autrice avale l’eau triste du stylo plein de larmes
t’alarme pas public tu peux toujours avaler les livres prédigérés préfacés prédisposés
De l’autre côté de notre grisaille, la lumière se fait. Une simple faille Une simple brèche dans notre dimension Couteau magique qui nous délivre Du temps du vrai La lumière de la neige L’éternité retrouvée Nous quittons les bords de nos vies accablées C’est la Mer Rouge qui est traversée Le soleil bleu La rivière scintillante Comme un rire d’enfant Descente en plein vol Dépassement des murs Traversée du silence Le gris qui nous engluait A muté
💫 Par ce texte, cette peinture, je cherche la même chose : illustrer, dire cet autre monde tout près même s’il nous paraît lointain encore. De l’autre côté d’un battement de paupière… 💫
Les instants paisibles / Natacha Karl Le lys bleu éditions -prix: 10€
Natacha Karl a plusieurs cordes à son arc, elle écrit, elle est passionnée de musique aussi. Les instants paisibles la montre à l’écoute de ce qui l’entoure, attentive aux vies minuscules et sensible à l’âme des choses.
au petit salon
il parle une langue ancienne
le vieux piano
mille histoires
se murmurent dans les livres –
qui les entend ?
Ses haïkus s’égrènent de la cuisine au salon, du salon au jardin, du jardin à la chambre. Témoin des jours et des nuits, Natacha guette chaque vibration et chaque instant ténu afin d’en retenir la couleur et l’essence.
tombée de la nuit –
le bleu indigo avale
la fenêtre ouverte
nouvelle vie
dans le vase cet iris
couché par la pluie
Les poèmes sonores sont relativement nombreux, encadrés de pauses, moments privilégiés aussi pour exercer les autres sens que sont la vue, l’odorat, le goût, le toucher. Bashô, en dictant son haïku de la grenouille, a appris à ses disciples que la poésie était d’abord une forme de disponibilité au monde. Il s’agit de recevoir ce qui vient à soi, de se laisser traverser par les images, visuelles, sonores, olfactives… sans intervenir, sans penser, afin de vibrer au rythme de la nature ou de l’environnement proche.
le chant du pinson
sur le lac gris-perle
un train passe
un pâle soleil
teinte la fin de l’été
récolte de pommes
une odeur piquante
volets ouverts dans la nuit
aux étoiles d’hiver
Quand la partition se joue intimement, à deux, la troisième personne s’absente passablement pour laisser place au « je » et au « tu ». Le haïku n’est pas forcément le lieu pour exprimer des sentiments, ils sont pourtant bien présents, surgissant à tout moment sous un trait de crayon, un regard… Dans les anthologies, ils ne sont pas rares du tout ; les plus réussis sont en principe les moins bavards.
Quelques traits de fusain
ton visage singulier
me sourit
Voile du matin
notre même horizon
Danièle Duteil, décembre 2020
🙏🏻Un grand merci à Danièle Duteil pour sa recension attentive et bienveillante. C’est une gratitude d’avoir sa confiance pour mon premier recueil de haïku en solo. 🙏🏻
Un homme s’arrête devant un grand portail vert. La peinture est un peu craquelée mais le portail ouvragé laisse deviner un joli jardin, un peu sauvage, qui cache à demi une haute maison de village.
Il ne sait pourquoi, lui qui ne fait pourtant que passer, il a envie d’entrer et de pousser ce portail qui grince sûrement.
bruits du vent
bruits du temps nouveau
une fleur jaune sourit
Depuis le seuil de la maison, une vieille dame interpelle le visiteur et l’invite à entrer. Les autres convives se sont égarés en chemin. Ils sont en route depuis ce matin. Elle lui dit d’entrer. Vous vouliez un café ?
le temps tourne au moulin
tremper les souvenirs amers
dans le breuvage noir
Le visiteur pousse le portail vert qui grince un peu des gonds, comme il le pensait. Le temps lui semble long, et le vent gronde dans sa mémoire.
Ce soir encore, il s’invite dans la jolie cuisine, colorée comme un torchon basque, vivante et gaie, avec ses rutilantes casseroles en cuivre accrochées aux murs. Comme un chaton, il vient se faire dorloter dans cette cuisine de grand-mère.
Doit-il déjà prendre la porte, graisser les gonds du portail et repartir sans faire d’histoires, avec l’odeur du vieux fer forgé sur ses mains ?
jour de fête
noces de l’oubli et du temps
en un bouquet plein de vie
@nk
Haïbun sélectionné dans le recueil Kintsugi, haikus du métal
Au jardin, le printemps se teinte de nostalgie. Il fleurira encore après notre départ. Mais nous ne serons plus là pour l’admirer. Je le regarde de tous mes yeux. Dans ces plus humbles détails.